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David empila ses diplômes encadrés sur le dessus du carton qu’il scella ensuite avec de l’adhésif. Puis il se releva et jeta un coup d’œil circulaire dans son bureau. Les murs étaient nus. Les tiroirs vidés. La pièce avait cessé d’être le cabinet de maître David Nash.
« Ça y est ? Tout est emballé ? » lui demanda Gregory Banks depuis la porte.
David ne l’avait pas entendu arriver. Il songeait à son bureau.
« Ouais, c’est fait. De toute façon, il n’y avait pas grand-chose. Mes diplômes, dit-il avec un geste vers le carton, et quelques objets personnels qui restaient dans les tiroirs. »
Il haussa les épaules.
« Bon, très bien. »
Les deux hommes gardèrent quelques instants un silence un peu embarrassé.
« Bon Dieu, tu vas me manquer, David », finit par dire Gregory, la voix étranglée.
Le jeune avocat se sentit gêné par cette démonstration inusitée de la part de son aîné.
« Hé, je ne fais que partir en vacances. Je vais revenir. Peut-être pas comme avocat, mais ce n’est pas comme si je partais pour toujours. »
Larry Stafford était sorti de prison et Jennifer avait relancé la procédure de divorce. Elle et David allaient disparaître pendant quelque temps. David voulait rattraper tout ce qu’il avait manqué pendant qu’il travaillait à sa carrière. Il avait envie de voir Abou Simbel et la Grande Muraille de Chine. Ils allaient voyager pendant un an. Peut-être plus longtemps. À leur retour, le divorce de Jennifer aurait été prononcé. Ils décideraient alors d’un avenir commun. Cela marcherait peut-être – ou peut-être pas. On verrait.
« Qu’est-ce que tu vas faire, si tu renonces au barreau ? demanda Gregory.
— Voilà une question à laquelle je ne tiens pas à penser pour le moment. Ne sois pas si pleurnichard. Tu me fais me sentir encore plus mal. »
Gregory rougit.
« Tu as raison. Merde, c’est la première fois que je me laisse aller comme ça. Ce doit être l’âge. »
David sourit, et Greg l’imita.
« Je t’aime mieux comme ça », conclut David.
Il eut un dernier regard pour la pièce. Le bureau était un vieux meuble imposant, acheté d’occasion, qu’il avait depuis ses tout débuts. Il essaya en vain de se rappeler combien il l’avait payé.
Sans en avoir conscience, il en caressa un angle. Il pensa aux articles encadrés qu’il venait de ranger. Certains des moments les plus sensationnels de sa vie avaient débuté dans cette pièce.
Il avait aimé le droit et avait été un bon avocat. L’un des meilleurs, peut-être. Mais cette partie de sa vie s’était achevée pour toujours à l’instant où il avait pressé la détente pour mettre fin à l’existence de Thomas Gault. Peu importait comment il pouvait justifier son acte : il lui était maintenant impossible de poursuivre sa carrière d’avocat. Avoir tué Gault avait fait de lui un hors-la-loi, même si personne d’autre que lui-même et Jennifer ne le savait.
« Tu viens bien dîner demain soir ? demanda Gregory.
— Bien sûr. »
Ses dispositions étaient déjà prises. Il quitterait le pays dans deux jours. Jennifer devait le retrouver à Londres quinze jours plus tard. Personne n’était au courant de leur liaison, et ils préféraient ne rien y changer. L’affaire Gault était classée, et ils ne voyaient pas de raison de faire naître des soupçons.
Personne n’avait remis en question la version des faits sur laquelle lui et Jennifer s’étaient mis d’accord. David avait raconté à la police comment Gault s’était confessé à lui, puis comment il avait été en parler à Monica et à Ortiz. Il avait fidèlement rapporté ce qui s’était passé dans la maison des Stafford, à l’exception d’un détail. Il avait dit qu’Ortiz avait fait feu et blessé Gault, qui avait fait feu simultanément, blessant mortellement Ortiz, et que la balle qui avait achevé Gault avait été tirée par le policier juste avant qu’il ne mourût.
David s’était excusé pour avoir touché l’arme d’Ortiz et déplacé les corps. Il aurait dû faire preuve de plus de sang-froid, mais il était tellement bouleversé… Personne ne lui avait adressé de reproches. Lui et Jennifer, après tout, avaient subi un vrai supplice. Et à vrai dire, personne ne se formalisait beaucoup à l’idée qu’un tueur fou, assassin de policiers, avait été abattu.
« Il faut que j’y aille, Greg », dit David.
Il souleva le carton et se dirigea vers la porte.
« Oui, bien sûr. »
Le deux hommes s’immobilisèrent un instant sur le seuil pour regarder la pièce vide.
« Tu reviendras, dit fermement Gregory.
— Peut-être », répondit David.
Mais il ne le croyait pas.
Fin